Cela fait un peu plus d’un mois que les salles de cinémas ont rouvert en France, et votre humble serviteur a bouffé de la péloche. Revoir des films marquant de 2020, découvrir de nombreuses nouveautés.
Mais avec l’été qui arrive, c’est l’artillerie lourde qui arrive là. Nous sommes donc parti dans une période où les films vont se bousculer, de nombreux vont être laissés pour compte et oubliés. Rien que pour cette semaine, nous n’avons pas moins d’une 20ne de sorties dont environ 11 sorties de films conséquentes. Et les semaines suivantes ne vont pas être mieux pour le coup.
Mais du coup, nous avons du faire des choix également de notre côté. Non pas sur les films à voir, puisque globalement nous mangeons tout ce qui sort en salle ou presque, mais davantage autour des thématiques, et du regard que nous pouvons apporter. Tout simplement : que pouvons-nous dire autour du film ? Car nous aurions pu vous parler de l’excellent Mandibules de Quentin Dupieux, mais en dehors de dire que le film est réussi, superbement écrit, interprété, et un des films de Dupieux les plus accessible (soit ce que dit absolument tout le monde), et bien nous n’avons pas de regard ni neuf ni intéressant autour de celui-ci.
Tout cela pour vous dire qu’aujourd’hui, nous allons parler de D’où l’on vient (In The Heights), nouveau film de John M. Chu, une adaptation cinématographique de la comédie musicale du même nom signé Lin Manuel Miranda.
Sommaire
- Lin Manuel Miranda, le nouveau génie de Broadway
- Washington Heights, cœur du film
- Un film à la plastique folle
- Comment parler de représentativité, de reconnaissance d’une communauté
- Les chansons
- Des différence avec le musical au service de l’adaptation
- Une ode à la vie

D’où l’on vient (In The Heights) en deux mots (ou presque)
Au cœur de New York, le quartier de Washington Heights est celui de tous les possibles. Usnavi, propriétaire d’un petit café dans le quartier, rêve de renouer avec ses origines, en République Dominicaine. Mais tout se complique quand il croise le regard de Vanessa, une jeune femme qui rêve de devenir styliste. Leur rencontre, sur fond de danse et de musique, va chambouler leur vie de manière inattendue.
Lin Manuel Miranda, le nouveau génie de Broadway
Avant de s’attarder autour du film, il est important de parler du véritable auteur de l’histoire, des chansons, de la comédie musicale originale, Lin Manuel Miranda. Si il y a bien un auteur dans le milieu de la comédie musicale à retenir de ces dernières années, c’est bien lui.
In The Heights est par ailleurs sa première comédie musicale, qu’il a écrit durant ses années d’études. Bien entendu, si vous le connaissez, c’est principalement pour deux choses : Hamilton, et Vaïana. Le premier qui a été le plus gros choc à broadway depuis plusieurs décennie. Une comédie musicale reprenant l’histoire des pères fondateurs sous le spectre d’un cast entièrement issu des minorités aux USA, et avec un langage et un univers musical reprenant le rap, la soul, le RnB… Une captation est d’ailleurs disponible sur Disney+ et on ne peut que vous inviter à foncer la voir.
Suite à In The Heights et Hamilton, Hollywood commence à voir entre Lin Manuel Miranda LE nouveau grand nom de broadway à embaucher à tout prix, et c’est ainsi qu’il se retrouve chargé des chansons de Vaïana. L’adaptation filmique de In The Heights n’est donc pas la première apparition de l’auteur dans le monde d’Hollywood, et ne sera pas la dernière. Outre son premier film en tant que réalisateur, Tick Tick Boom (Un film qui arrivera directement en SVOD chez Netflix), il continue de travailler pour Disney et sera notamment à l’écriture avec 2 autre mains des chansons du film La Petite Sirène, mais aussi un des prochains disney animation studio, Encanto.
Lin Manuel Miranda a ainsi réussi en a peine 20 ans a se hisser comme la personne incontournable dans son domaine et surtout a permis par sa volonté de représentativité dans le monde trop blanc de broadway, de lancer une véritable révolution dans l’industrie. C’est dans ce contexte qu’il est intéressant ainsi de parler maintenant de l’adaptation de In The Heights et de voir ce qu’elle peut nous raconter du monde d’aujourd’hui.
Washington Heights, cœur du film
Si il y a bien un aspect du film à mettre en avant, c’est la place du quartier dans le film. Si on dit souvent que telle ville ou tel environnement est un personnage à part entière dans tel récit, cela n’a jamais été aussi vrai que dans In The Heights avec son quartier. Que ce soit les personnages, la musique, la réalisation, tout vit ici par rapport au quartier. Miranda a notamment fait ce choix de musiques et de styles de musique dans sa composition par soucis justement d’avoir une véritable représentativité du quartier.
Salsa, Rap, Reggaeton… C’est d’ailleurs un des points les plus rafraîchissants par rapport à de nombreuses comédies musicales, la variété musicale. C’est quelque chose que l’on retrouve dans l’ensemble de l’œuvre de l’auteur par ailleurs, et si, bien entendu, pour conserver cette emprise du style film (c’est à dire une comédie musicale), on retrouve des voix typiques du genre (notamment féminines), le film ne tombe jamais pendant sa durée dans un numéro de broadway classique. Et cette cohérence entre le lieu filmé et sa musique donne une dimension organique à In The Heights vraiment passionnante.
Un film à la plastique folle
Le second aspect qui marque également le film, c’est cette cohérence totale entre réalisation, montage image, montage son, musique et chorégraphie à l’écran. Si nous avons l’habitude de voir des films user de montages synchronisés à la musique, de chorégraphie chiadée dans le domaine de la comédie musicale, il y a encore tout cet ensemble qui forme un tout ultra cohérent et plaisant visuellement.
Le travail autour des décors est tout simplement fou, avec la volonté de rendre le quartier le plus vivant possible, mais en même temps avec cette gentrification qui menace aussi la vie du quartier et donc des commerces fermant, d’autres se faisant racheter.
Et les chorégraphies !
A titre personnel, je n’ai jamais été un férus de grandes chorégraphies, que ce soit dans la comédie musicale, ou tout simplement même de danse, car c’est un art qui me touche moins, mais dans In the Heights, c’est bien cette rythmique de la chorégraphique, fonctionnant à la note près par rapport à la musique, à la réutilisation de danses « classiques » liées aux styles de musiques, qui encore une fois, permet un tout cohérent. sur certaines chansons de plus, comme 96.000 nous nous retrouvons face à une chorégraphique dans l’eau dont certains plans seront des références à des numéros classiques des comédies musicales au cinéma des années 50, mais il y a également ce référentiel du style musical et donc des clips, notamment via certains plans, certaines tenues, qui ajoutent au final encore une fois une cohérence assez folle. De plus l’ensemble des chorégraphies ont été conçues dans un but de représenter l’ensemble des styles traditionnels des différentes îles caribéenne, mais aussi des styles plus moderne que l’on peut voir a New-York, qu’elles soient des évolutions tel que la salsa New-York style, ou d’autres styles contemporains tel que le breakdance.
Ce qui est pour le coup un peu moins habituel, c’est tout ce jeu qui vient briser le 4e mur. Le scratch fait par une bouche d’égout, les regards caméras, tout ceci rentre très logiquement dans le procédé de narration du film qui est le fait qu’une histoire est contée. Cette idée d’ailleurs de changer le prisme de narration par rapport à la comédie musicale originale est d’ailleurs plutôt bonne car permet de se lancer dans des changements majeurs scénaristique sans que cela puisse choquer. Nous sommes ici sur une réelle adaptation cinématographique, qui prend note et se place véritablement dans ce médium-ci.
Comment parler de représentativité, de reconnaissance d’une communauté
In the Heights est un film aux thématiques multiples mais également représentatives du quartier et de sa communauté. Gentrification de la ville de New York, reconnaissances des immigrés au sein de la société, racisme ordinaire aux États-Unis.
Mais une des thématiques les plus importantes, véritable fil rouge, c’est celui d’appartenance. Washington Heights est un quartier « latin » de New York, où se côtoient dominicains, portoricains ou encore cubain et jamaïcain. Qu’ils soient immigrés états-uniens de la 1ere ou de la 5e génération, ils partagent tous une histoire commune, et s’ils ont des origines différentes, ils partagent cette histoire commune qu’ils créent au quotidien a Washington Heights.
Le rêve du personnage principal Usnavi est d’ailleurs de rentrer en République Dominicaine pour retourner sur ses terres d’origines et suivre les traces de son père, tandis que Nina rentre justement au quartier, de part nostalgie et mal du pays. Et encore une fois on peut voir que dans ce récit choral que c’est encore une fois le quartier de Washington Heights qui se retrouve au centre des histoires de chaque personnage.
Si In The Heights arrive de plus a raconter si bien cette histoire c’est car elle est écrite avec un véritable vécu dans le quartier, et un soucis notamment au niveau du cast uniquement composés de personnes issue de communauté latino-américaine. C’est d’ailleurs une des dimensions importante de l’œuvre de Lin Manuel Miranda jusqu’à présent, que ce soit avec In The Heights et Hamilton, de mettre sur le devant de la scène des acteurs, comédiens, talents issues de minorités. Cependant, concernant le film mais aussi la comédie musicale originale, des critiques ont été formées autour d’un manque de représentativité totale de part une absence remarquée d’afro-latino.
Les chansons
Comment ne pas parler d’une comédie musicale sans parler de ses chansons. Il faudrait quasiment un article entier pour véritablement discuter et analyser sérieusement la richesse musicale folle de In The Heights (et on le fera peut être). Mais rien que le numéro d’ouverture donne toute l’identité de l’entièreté du film. L’ensemble des styles musicaux sont représentés, on retrouve en contre chant les mélodies des chansons qui seront chantées en solo les différents personnages, et toutes les séquences présentant les personnages se finis sur une chorégraphie grandiose appuyant ainsi le message de « chaque personnage pour représenter le quartier ».
Bien entendu, le liant de la quasi totalité de la comédie musicale, ce sont les claves qui donnent ce rythme spécifique dit 3-2 (pour 3 coups donné sur la première mesure, et 2 sur la seconde), caractéristique commune de toute musique latine depuis toujours. Cette rythmique, c’est le battement de cœur du quartier, c’est sur ce rythme que tous respirent, que tous dansent.
Des différences avec le musical au service de l’adaptation
Nous avons eu l’occasion de discuter un peu avec @KimmshyLee (sur twitter), une amatrice de comédie musicale, autour des différences entre les deux versions coexistant désormais. En plus des chansons qui ont été supprimées, changée pour la plupart en dialogue entre personnages, c’est aussi toute une partie de l’histoire qui a été réadaptée, avec des dialogues changées, des personnages -tel que la mère de Nina, Camila- qui ont disparu, des rapports entre les personnages ont également changés.
Un des plus gros changement, c’est la temporalité. Si la comédie musicale se déroule en trois journées, ici, tout se déroule sur un été entier, permettant ainsi de pouvoir poser les évènements, et ajouter une notion d’évolution. Ce genre de changements sont pour le coup assez cohérent car sont liés au médium du cinéma. Cela semble plus facilement crédible sur scène d’avoir un condensé en une temporalité spécifique, alors que devant un long métrage, cette évolution est plus logique et plus facilement racontable sur la longueur.
comme le dit @KimmshyLee lors de notre échange, ces changements sont intéressant pour donner une autre dimension à l’œuvre. Notamment le personne de Sonny qui devient ici un immigré sans papier et ainsi privés de certains droits lui paraissant essentiel comme pouvoir étudier ou simplement passer le permis. Ceci permet également de faire évoluer les rapports entre ce personnage et d’autre, comme Nina qui y trouve ici sa motivation de continuer ses études.
Une ode à la vie
In The Heights, c’est au final la comédie musicale et même le film hollywoodien que nous attendions, celui qui célèbre la vie, le partage. Quelque chose qui nous manque véritablement depuis le début de cette crise sanitaire et qui nous invite justement à danser, chanter, que ce soit entre amis ou avec d’autres dans la salle.
Et nous n’avons pas cité Quiara Alegría Hudes qui en plus d’avoir écrit le carnet de la comédie musicale originale, a été également au scénario et s’est occupée de l’adaptation filmique, et a permis un travail incroyable. Le cast également, quasiment tous issu de plus de Broadway plutôt que d’hollywood, et toute l’équipe qui ont permis de créer cette œuvre dont nous n’avons qu’une envie en sortie de salle : retourner le voir, assister à un musical à Broadway ou a West End, et écouter en boucle les chansons.

D’où l’on vient (In the Heights)
- Réalisateur : John M. chu
- Scénariste : Quiara Alegria Hudes
- Avec Anthony Ramos, Vanessa Hughes, Ariana Greenblatt…
- Musique : Alex Lacamoire, Lin-Manuel Miranda et Bill Sherman
- Chorégraphie : Chris Scott
- Direction artistique : Brian Goodwin
- Costumes : Mitchell Travers
- Photographie : Alice Brooks
- Montage : Myron I. Kerstein
- Durée : 143 minutes
- Production : Warner Bros., 5000 Broadway, Barrio Grrrl!, Likely Story et Scott Sanders Productions
- Distribution : Warner Bros.