Nouveau format sur le site ! ici, nous allons vous parler de genres musicaux plus ou moins connus, de mouvements musicaux au sein d’un pays. Nous vous invitons d’ailleurs avant votre lecture à vous rendre en bas de page pour lancer la playlist liée à l’article. Aujourd’hui, nous allons vous parler de Funk et de Japon !
Bien souvent lorsque l’on évoque la funky music avec les fans, les vieux routards de la belle époque des années 1980 ou tout simplement les excités du dance floor boostés à la musique old school, les références aux productions américaines sont légion.
Loin de nous l’idée de blâmer ce réflexe quasi reptilien tant les morceaux de funk américaine ont longtemps fait office de référence absolue, à l’échelle planétaire.
Au contraire, il convient d’appuyer l’hommage, d’en souligner la nécessité mais aussi d’en estimer la valeur à la lumière de l’insolente diversité des styles de funk proposés alors : Funk axé sur la mélodie, sur le mode lover, sur l’exploit musical d’artistes au sommet de leur art ou tout simplement courant minimaliste capable de faire ses déhancher les foules à des kilomètres à la ronde.
Les exemples pleuvent lorsque l’on évoque cette époque luxuriante et audacieuse mais surtout héritière de tant de courants musicaux.
Là où le mélomane doit s’éloigner toutefois des évidences et des lieux communs c’est lorsqu’il s’agit de se focaliser sur le seul continent américain pour évoquer ce courant diaboliquement efficace.
Certes les États-Unis ont toujours fait figure de point de départ, de plaque tournante et de zone d’influence exclusive du genre.
Malgré tout, force est de constater que l’esprit funk ainsi que les codes de la discipline ont tôt fait de se libérer du carcan géographique. Dès la fin des années 1970, par exemple, le Japon surfait déjà sur la vague du funk à grand renfort de productions maîtrisées et percutantes.
Sans revenir sur les prémisses de ce mouvement, tâchons malgré tout de tirer à grands traits les caractéristiques fulgurantes du funk nippon et d’en saisir la substantifique moelle.
À peine cette idée proposée, une question émerge avec insistance :
Pourquoi insister sur la singularité nationale du funk japonais ?
Les arguments sont nombreux et la justification d’un tel choix presque immédiat tant le rôle du courant nippon pèse encore sur la musique actuelle. Car le style proposé par le pays du soleil levant est non seulement hors norme, mais il est également l’un des plus beaux exemples de synthèse totale de plusieurs courants en parvenant, grâce au génie de certains producteurs, à y insérer une créativité culturelle bien marquée qui même encore aujourd’hui défraie la chronique et fait pâlir d’envie certains jeunes artistes actuels.
Sans prétendre à l’exhaustivité, nous allons explorer ensemble quelques pièces incontournables du funk japonais des années 1980 afin de mettre en lumière cette idiosyncrasie si magique, traversant les âges et nourrissant, encore aujourd’hui la scène musicale japonaise.
Le premier fait marquant du modèle japonais en matière de funk est la coexistence du style musical et du monde de l’animation japonaise. Pour les plus anciens d’entre nous qui se souviennent de la série Cat’s Eyes où un groupe de femmes surentraînées faisait régner la justice dans une ville rongée par le crime, on se souvient du générique tonitruant qui annonçait le début de chaque épisode. Pour accompagner leurs aventures en effet, les producteurs avaient eu la somptueuse idée d’insérer une magnifique production funk comme générique. Pour l’occasion, c’est Moriko Tone qui s’y colle avec Hot Stuff. Nous sommes alors en 1983.
Plusieurs exemples du même acabit peuvent être mis en avant afin de souligner l’un des premiers traits saillants du funk japonais : son lien avec l’activité cinématographique. On peut voir tout d’abord ainsi que le Funk au Japon se configure ainsi rarement seul. Le style est en même temps particulièrement efficace pour transmettre un côté dansant, un lien avec le monde du mystère, des enquêtes et détectives, tout comme il peut ainsi être fortement utilisé pour rythmer des scènes d’actions ou de courses poursuites.
La recettes du funk japonais en
deux exemples :
Un autre trait qui pourrait également mériter un éclairage appuyé est cette capacité de la production japonaise à copier, voire à surpasser le maître américain. L’un des exemples les plus percutants que l’on pourrait citer (parmi des centaines d’autres) est le morceau de Yoshida Minako – Midnight Driver de 1980.
Pourquoi cet exemple ? D’abord parce que l’instrumentale est plus que renversante, très envoûtante et lancinante. Difficile à oublier pour tout dire. Ensuite, en raison des quelques couplets uniquement en anglais, conçus pour diversifier l’audience et de toucher le plus grand nombre. Enfin, le titre s’appuie sur tous les codes du genre qui ont fait et font encore le succès du funk : des breaks, des cuts, des solos de guitare, des choristes qui martèlent le message phare du morceau et tutti quanti. Tous les ingrédients sont réunis et le résultat est particulièrement efficace et mémorable.
Une vision du genre sous hautes références
Difficile de cerner en quelques lignes l’intégralité d’un mouvement musical d’une si grande ampleur et doté de si nombreuse ramifications. Tentons toutefois d’en trouver les grandes lignes.
La première clé semble être ce respect immodéré pour les codes de la discipline. L’accent mis sur les canons musicaux du funk avec ses lignes de basse léchées, ses refrains lancinants simples mais efficaces, ses cœurs féminins et/ou masculins qui saupoudrent le titre d’une atmosphère magique et quasi irréelles, inscrivent bien souvent le funk japonais dans une forme de classicisme impérial poussé à sa perfection.
On pourrait également mettre en avant la singularité assumée du style japonais. Par la langue d’abord. Le funk japonais, même s’il est souvent entremêlé de refrains/couplets en anglais, met à l’honneur ce phrasé si adapté à la musique. Et cette mise à l’honneur va plus loin puisque les références culturelles et l’aspect imaginé voire pleinement fantasmagorique de certaines chansons nous renvoie directement à ce pan de la culture japonaise qui invite à la contemplation, à l’évasion. Les chansons de Anri mais aussi les standards comme le Plastic Love de Mariya Takeuchi ou le 1984 de Junko Yagami en sont une illustration. Ainsi, s’il est bien souvent question d’amour et de tous les défis qui s’y rattachent, le funk japonais est imbibé de la société japonaise, de ses vertiges, de ses codes.
Enfin, autre dimension symbolique du style : la capacité à produire des standards mais aussi des icônes. Pour ne citer qu’un exemple, Hideki Saijo est l’un de ces grands artistes japonais qui ont marqué une génération. Par son talent bien sûr avec une voix d’une douceur invraisemblable et un style musical allant de la ballade de lover au bon son funk sérieux et efficace. Par son aura aussi, puisque Hideki était aussi une star de la télévision japonaise. Ses reprises de grands standards américains (YMCA ou encore Careless Whisper) ont fait de lui une icône intemporel. Sa disparition en 2018 n’a fait que décupler sa gloire.
Cette capacité à reprendre les tubes d’outre-Atlantique est d’ailleurs un énième reflet du génie du funk japonais. La maîtrise des références, des normes et des codes pouvant être considérée, surtout dans le monde musicale comme une clé d’accès à la nouveauté, à l’audace.
Si ces deux aspects du funk japonais sont, certes, flatteurs, ils ne seraient rien sans une composante universelle capable de traverser les époques : la capacité des créateurs japonais à proposer des mélodies inoubliables qui suggère à l’oreille un sentiment de déjà vu alors qu’il s’agit bien là d’une proposition originale et neuve.
Cet argument, très convaincant, donne une ampleur inouïe à ce courant musical imposant.
Il sert également à doter le funk japonais d’une actualité toujours brûlante et dès lors d’un modèle inégalé. Certains artistes comme la jeune américaine Jenevieve signe des titres comme Baby Powder en dépassant les 5 millions de vue sur Youtube en reprenant in extenso l’instrumentale d’un célèbre morceau…de funk japonais : celle du titre d’Anri, Last Summer Whisper sorti en 1982. Il faut bien avouer que ce choix de reprise est particulièrement bien vu tant la carrière d’Anri est riche et diversifiée. Véritable icône du funk/disco nippon des années 1980, Anri a donné le la de la musique japonaise pendant de nombreuses années.
D’ailleurs, la génération actuelle ne s’y est pas trompée. En développant de nouveaux styles musicaux, héritiers directs du mouvement des années 1980, comme le Future Funk ou la Vaporwave, les jeunes producteurs dans le vent sont notamment repartis d’Anri pour la ramener sur le devant de la scène avec une fulgurance rarement observée. Ainsi, la mouvance actuelle revient à remettre au goût du jour les morceaux d’antan en les accommodant de bases rythmiques modernes tout en conservant la référence indéfectible au courant manga pour bien signifier les racines historiques du clin d’œil, l’héritage toujours actif du courant originel qui depuis plus de 40 ans, subjugue les fans. La boucle est donc perpétuellement bouclée.
Sur ce, on vous invite à aller dépoussiérer votre platine vinyle, et à vous envoyer un bon petit 33 tours ! A la prochaine !