Vous pourriez n’en avoir rien à foutre de mon avis, c’est certain.
Mais si vous lisez cette première ligne, c’est que vous lisez la deuxième, et si vous lisez bel et bien la deuxième c’est que vous avez été malgré tout intrigué, intéressé ou bien irrité par le titre de l’article. Donc shut et lisez plutôt.
On entend parler de La La Land partout.
Les festivals, les critiques puis les spectateurs viennent alors tous se ranger à l’avis « évident » que le 3ème film de Damien Chazelle est un chef d’oeuvre, une claque, un souffle d’air frais. On peut lire sur les affiches promotionnelles ce type de phrases toutes faites et idiotes disant qu’il est « impossible de ne pas adorer ce film ». Comme si les grands films ne pouvaient que plaire à tout le monde, ne pouvaient qu’enthousiasmer les gens, comme si, parce que c’est une comédie musicale ou un feel-good movie, on ne pouvait que ressortir tout en joie et allégresse de la salle. Et bien, je suis la preuve que non, il est possible de ne pas adorer ce film et bien sûr je vais vous expliquer pourquoi.
Tout d’abord, il est évident que, techniquement, le film est quasi irréprochable. On sent un travail minutieux, une attention à chaque détail, une précision incroyable sur chaque couleur, chaque lumière, chaque mouvement de caméra, chaque transition. Chazelle et son équipe se sont dépassés pour proposer un véritable « spectacle » qui ne révèle aucune de ses ficelles techniques… Je dis bien techniques car artistiquement, si il y a bien une chose que l’on passe son temps à voir, ce sont justement les ficelles.
Déjà dans les scènes de comédies musicales, les quelques plans séquences, alors qu’ils ont pour but en soi d’offrir un spectacle fluide, immersif et tourbillonnant ne font que révéler leurs propres faiblesses. Là où j’aurais du avoir les frissons, qui peuvent par exemple m’habiter en voyant les plans séquences de De Palma ou même celui de cette hallucinante séquence d’action dans la neige du Tortues Ninja de Liebesman, je suis resté extérieur à tout ça, je n’ai pas été pris par la main comme j’aurais voulu pour entrer dans cette valse proposée. C’est bien trop abrupte, bien trop excessif, bien trop clinquant que pour être honnête. Les chorégraphies ont leurs propres limites tout comme la caméra de Chazelle qui à force de vouloir être partout ne va finalement nulle part. On pressent les entrées et sorties de cadre, on pressent le panoramique ou le travelling, et quand on le pressent pas, c’est trop lourd, trop excessif que pour que l’on arrive à le suivre avec approbation.
Le principe d’un plan séquence est d’être assez léger pour se faire oublier et assez significatif pour emporter tout sur son passage. Là ce n’est pas significatif et c’est très lourd. Je salue donc le travail évident et le parti pris de départ mais non pas l’exécution. Car ce sont, par contre, dans les scènes musicales plus calmes, plus discrètes (telle que celle qui réunit les 2 héros face au panorama de la ville pour la première fois) qu’arrive la vraie inventivité. Là ou la seule « idée » de certaines scènes est d’en foutre plein la gueule, dans celles-ci, il tente de raconter quelque chose avec les chorégraphies, les cadres, les mouvements, les personnages : tout a donc plus de sens; mais c’est malheureusement trop rare et encore pas assez suffisant.
Chazelle tombe donc surtout dans un excessif qui peut rappeler Mission Impossible 5 qui enchaîne des scènes d’actions certes parfaitement exécutées mais qui ne racontent finalement rien, tant le sort des personnages ne nous intéresse guère et tant celles-ci ne sont aucunement l’expression d’une évolution, d’un conflit ou d’une émotion.
Parce que c’est bien la virtuosité et l’excès, j’aime la virtuosité et l’excès, je suis le premier fan de Brian De Palma, Samuel Fuller, Sam Raimi, etc. mais ça doit se contrôler et dans La La Land, il n’y a aucun contrôle.
Prenons par exemple ces deux scènes dans lesquelles le personnage d’Emma Stone se retrouve seule dans une soirée et déçue devant un concert : au lieu d’exprimer pleinement par la mise en scène le malaise ou la tristesse du personnage, Chazelle ne s’emploie qu’à filmer de manière virevoltante tout ce qui se trouve autour d’elle sans exprimer d’une quelconque manière, hormis par le dialogue et un ou deux plans basiques, son sentiment; alors que nous sommes sensés être de son point de vue ! Si Chazelle usait de cela pour donner du contraste avec autre chose : pourquoi pas, mais ce n’est pas le cas. Je vous invite à voir La Grande Bellezza de Paolo Sorrentino (si ce n’est déjà fait) pour voir là par contre un cinéaste qui use de l’excès et de la virtuosité pour mieux contraster avec les scènes de grande mélancolie.
La virtuosité ne sert rien d’autre qu’elle-même, s’exprime dans du vide et n’a donc aucune raison d’être dans ces deux scènes.
Alors parlons des moments plus doux et plus calmes, car il y en a. Mais ceux-ci n’ont pas l’ampleur qu’ils devraient avoir non plus émotionnellement et non pas faute ici à une mise en scène inadaptée mais à des personnages trop lisses et un récit bien trop creux que pour être réellement digne d’intérêt. J’ai lu ici et là certaines personnes reprochant un scénario trop faible tout en l’excusant par avance car c’est un « divertissement »; mais je vous invite à revoir West Side Story, Cry Baby ou Grease… Là où les deux personnages principaux de La La Land sont des exemples de gentillesse et de perfection, il est tout autre chose par exemple dans Grease. Travolta est trop imbu de lui même, lOlivia Newton John est trop mièvre et tous les personnages cachent leur réelle sensibilité dérrière un masque de superficialité qui les rend profondément malhonnêtes et tristes. Cry Baby ou West Side Story racontent une Amérique profonde et oppressée qui rêve d’un avenir meilleur contre une autre Amérique hypocrite, maniérée et hors des réalité. L’histoire d’amour n’est donc pas réellement le sujet là où dans La La Land il est le seul et unique.
Alors pourquoi pas ? Il y a eu de très grands films uniquement basés sur la relation amoureuse comme Quand Harry rencontre Sally. Mais ici aussi, Harry et Sally ont leur défauts, font face à de véritables conflits intérieurs et extérieurs, ne cherchent qu’une seule chose qu’ils passent, malgré eux, leur temps à éviter. Les personnages ont une texture, une profondeur, une contradiction. Qu’y a-t-il dans La La Land hormis un mec fauché fan de Jazz qui veut ouvrir une boîte de nuit et une jeune comédienne qui se fait refouler de tous les castings et qui rêvent d’actrice ? Rien d’autre.
Chazelle s’est tristement laissé aller à se limiter à une caractérisation de personnage pour oublier toute évolution et toute réelle création de sensibilité humaine : il n’a ici qu’un point de départ et aucun relief.
Et l’histoire d’amour ne va rien apporter de plus : ils tombent amoureux alors ils finissent ensemble. Et la sous intrigue professionnelle ne va rien apporter de plus : ils cherchent du boulot et ils en trouvent.
Et c’est là que Chazelle va apporter ce faux dilemme de récit : le choix entre l’amour et la carrière. Un faux dilemme : pourquoi ? Parce que les personnages font, face à ce dilemme, un choix d’un commun accord sans sourciller ! Parce que les personnages ne tentent pas de se battre corps et âme contre ça ! Parce que les personnages ne se confrontent à rien ! Quand Ryan Gosling trouve du boulot, c’est parce qu’il recroise un mec par hasard, quand Emma Stone est enfin embauchée pour un film, c’est parce qu’une productrice l’a vu dans un spectacle qu’elle a auto produit et dont on a vu à absolument aucun moment à quel point il a été difficile pour elle de le monter. Tout glisse et tout se passe comme prévu, et quand le dilemme arrive, il est accepté par les deux personnages et ce par un dialogue et non par une action, un combat, un défi quelconque…
Pourtant on voit quelque chose se profiler quand le personnage de Gosling balance : « Tu aurais préféré que je continue à galérer pour te conforter dans ta situation ! ». Mais au lieu, déjà, de le montrer et non de le dire, cette phrase n’a en fait aucun écho car Chazelle démontre la seconde d’après que le personnage d’Emma Stone ne peut en aucun cas penser à ça, tant elle est parfaite.
Mais pourtant c’est là que tiennent les histoires, même les plus simples : par le conflit, par ce qu’on appelle aussi le fossé narratif (quand le personnage se trouve face à une réaction qu’il n’a pas anticipé). Revoyez Chantons sous la pluie ou Un américain à Paris, il n’y a que ça tout du long ! C’est dans l’ambiguïté d’un personnage, dans ses défauts et surtout dans ses combats que l’on explore un récit.
Alors en dernier recours, on me rétorquera premièrement que le film est un film léger, voilà. Je suis désolé, mais ce n’est pas parce qu’un film est « léger » qu’il doit être dépourvu d’actions et de réactions. Imaginez Indiana Jones qui trouve l’Arche Perdue au bout de 30 minutes parce qu’un copain à lui l’a vu en passant en bagnole, ce serait de suite moins sympa et pourtant… c’est léger Indiana Jones !
Et on me rétorquera ensuite que le style de Chazelle est auto suffisant au plaisir. Pourquoi pas mais là arrive un autre problème : Est-ce vraiment un film de Chazelle ?
Ça, à moins qu’on ne le connaisse personnellement, on ne le saura jamais, mais je ne vois par contre pas l’oeuvre intime d’un artiste, juste une copie d’autres artistes. J’ai lu qu’on parlait beaucoup de Minelli, ce qui est évident, mais aussi de La Fureur de Vivre (ce qui n’est pas très difficile à percevoir tant le film est sur-cité) mais personne ne parle de Paul Thomas Anderson et de son Boogie Nights dont une scène entière (celle du barbecue) a été tout simplement calquée de la lumière jusqu’aux mouvements de caméra, personne de parle de Paul Thomas Anderson et de son Punch Drunk Love dont certaines scènes volent l’esthétique, les couleurs, l’ambiance, la musique voir même la célèbre scène des ombres chinoises, personne ne parle de Coppola et de son Coup de cœur dont les ambiances studio, les néons, les surimpressions sont étrangement similaires. Il est donc triste et non pas jouissif de voir que toute l’inventivité de Chazelle n’est finalement qu’une pale copie de réalisateurs passés qui ont fait la même chose, en mieux; car ne disons pas qu’elles sont de simples inspirations et références tant tout transparaît de manière trop évidente lorsque l’on connait et aime les films dont je parle !
C’est ici que le film perd encore en authenticité, en honnêteté. Milos Forman dit qu’il y a deux types de cinéastes : ceux qui font comme et ceux qui font contre. Chazelle ne fait que comme et ne cesse interminablement de citer ses références comme pour en plus s’excuser d’en faire trop. Les films de cinéphiles oui, mais reste-t-il qu’il faut qu’il soit assez intime que pour montrer autre chose.
Mais, pour finir, arrive un autre fait véritablement problématique, qui apparaît tout au long du film et que je trouve personnellement très dérangeant. c’est qu’en plus de faire comme d’autres, il fait comme à l’époque.
Hors les prouesses techniques peut être impossibles il fut un temps (quoique c’est sans compte sur un Fuller ou un Welles), La La Land dépeint un monde qui n’existe plus. Que ce soit certains décors, certains costumes et surtout certaines mœurs, le film dépeint une époque qui n’est pas la sienne et qui ne jamais ne s’approche un temps soit peu de celle dans laquelle il devrait exister. Les seuls films, les seuls acteurs et les seuls musiciens dont en entend parler ne dépassent pas les années 60, comme si tout avait stagné depuis. Et alors qu’un des personnages secondaires vient reprocher cette obsession pour le passé, le présent est malgré tout encore évacué, là où, encire une fois, une vraie source de conflit intérieur aurait pu naître.
Parce que là où les Minelli, les Donen, les Edwards étaient un reflet pertinent de l’époque dans laquelle ils ont été créés, Chazelle ne raconte absolument rien de la sienne.
A l’image d’un The Artist de Michel Hazanavicius, La La Land n’est qu’un film tristement nostalgique qui n’a rien à dire et que quand il dit, ne fait que copier le maître voisin sans rien apporter. On parle d’hommage, mais le plus bel hommage que l’on puisse faire à des œuvres modernes et avant-gardistes comme celles qui sont citées tout du long (Casablanca, La Fureur de vivre, etc.), n’est-il pas de l’être tout autant qu’elles ?
Il est donc, je trouve, triste et décevant de voir que des réalisateurs s’entêtent à regarder dans le passé des films qui tendaient vers le futur et qui, au final, resteront à jamais bien plus modernes.
Raphaël K